La Fete du Siecle, de Niccolo Ammaniti

Signé Bookfalo Kill

Dans les années 90, en Italie, une vague de jeunes auteurs fait sensation autant que scandale. Ceux que l’on surnomme «les Cannibales» (en raison de leur collaboration à un recueil de nouvelles intitulé Jeunesse cannibale) sont moins un authentique mouvement littéraire organisé qu’une communauté spontanée de style et de pensée. Ils partagent un certain goût pour la violence, la destruction des tabous, et des références culturelles modernes (cinéma, BD, jeux vidéo, culture pop ou « pulp »…) ; ainsi qu’une manière de dynamiter les codes littéraires, notamment en tirant la langue vers l’oralité – le caniveau linguistique, diront leurs détracteurs…
De tous ces écrivains, Niccolò Ammaniti est sans doute la plus pure révélation, devenu aujourd’hui l’un des grands noms incontournables des lettres italiennes. À tel point qu’il a été consacré en 2007 par le prix Strega, équivalent transalpin de notre Goncourt, pour Comme Dieu le veut (Grasset, 2008). Une forme d’adoubement qui récompense l’ambition littéraire et narrative d’un auteur ayant largement dépassé le statut de phénomène de mode pour atteindre celui d’écrivain représentatif de son époque.

Toujours est-il qu’Ammaniti semble retrouver la veine de ses débuts dans son nouveau roman. Grotesque, loufoque, grandiloquente et dégénérée, sa Fête du siècle radiographie sans pitié l’Italie de Berlusconi, dans toute sa vulgarité et sa vanité.
On y suit en particulier la trajectoire de deux personnages que tout semble opposer – quoique… À ma gauche : Fabrizio Ciba, jeune romancier à la mode après deux best-sellers, plus obsédé par son image, son ego démesuré et ses conquêtes féminines que par son troisième roman, dont il bute sur le deuxième chapitre depuis trois ans. À ma droite : Saverio Moneta, dit Mantos, leader pathétique d’une secte satanique composée de quatre (!) membres plus branques les uns que les autres, et accessoirement vendeur de meubles sous la férule d’un beau-père tyrannique.
Entre eux, on trouve Sasà Chiatti, milliardaire tendance mafieux mégalomane, qui a métamorphosé la Villa Ada, au cœur d’un des plus vieux parcs de Rome, en réserve animalière doublée d’un terrain de safari ; et invité tout ce que la capitale italienne compte de gens « importants » pour célébrer son triomphe au cours d’une grande chasse dans la plus pure tradition colonialiste… Ciba en est, bien sûr ; tandis que Moneta et ses acolytes parviennent à y pénétrer en tant que personnels de maison, avec la ferme intention de profiter de l’événement pour marquer l’histoire de leur secte d’un coup d’éclat mémorable.
Bien entendu, rien ne se passe comme prévu, et au cœur du zoo, les animaux les plus sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on croit…

Après une première partie hilarante, dominée par un ton mordant d’ironie tandis qu’il campe ses personnages, Ammaniti nous entraîne sans crier gare dans une farce débridée, quelque part entre Jurassic Park et un remake hystérique de The Party, dès lors que les festivités commencent.
Emporté par la verve et l’énergie exceptionnelles de l’auteur, le roman tourne au jeu de massacre et n’épargne pas grand-chose, et surtout pas ce que la fête imaginée par Ammaniti incarne de la vulgarité bien réelle de la société italienne contemporaine. Footballeurs divinisés, starlettes télévisuelles sans lendemain, chirurgiens cocaïnomanes, poètes artificiels, créatures arrivistes, personne n’est épargné ; pas même le petit monde de l’édition, qui en prend largement pour son grade. Et plus on avance, plus le romancier se lâche, jusqu’à oser imaginer une intrigue totalement abracadabrante autour des Jeux Olympiques de 1960… Impossible d’en dire plus sans tout gâcher – sinon qu’il s’agit bien d’une idée digne d’un ex-Cannibale !
Bref, on est bien loin des clichés romantiques sur Rome, son glorieux héritage culturel et son rayonnement historique. D’ailleurs, comme un symbole, même les Vespa y tombent violemment en panne…

Moins puissant que Comme Dieu le veut, extraordinaire roman-ouragan sur l’Italie des laissés-pour-compte, La Fête du siècle se lit néanmoins avec jubilation dès lors que l’on accepte son caractère de farce noire, et donc les énormités assumées qu’Ammaniti s’autorise. On y rit souvent… de peur sans doute d’être obligé d’en pleurer !

Ne vous laissez pas arrêter par la couverture, spécialement moche... Ammaniti mériterait un meilleur maquettiste !!!

La Fête du siècle (Che la festa cominci), de Niccolò Ammaniti
aux éditions Robert Laffont, 2011
ISBN 9782221116050
396 p., 21 €



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